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Prolongation de la trêve hivernale en 2020 : application en pratique

Le 13 mai 2020

Dans le cadre des mesures prises pour faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie du Covid-19, le gouvernement a, entre autres, décidé de prolonger la trêve hivernale.

L'ordonnance n°2020-331 du 25 mars 2020 relative au prolongement de la trêve hivernale (prise en application de l'article 11 I 1° de la loi du 23 mars 2020 d'urgence), a en effet prolongé cette période jusqu'au 31 mai 2020 pour ce qui concerne la métropole, et de deux mois pour la Guyane, la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et Mayotte, ainsi que dans les collectivités de Saint-Barthélemy et Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon et Wallis-et-Futuna.

Cet allongement de la trêve hivernale est consécutif au fait que la loi du 23 mars 2020 a déclaré l’état d’urgence sanitaire pour une durée de deux mois soit jusqu'au 24 mai 2020.

Le principe de l’expulsion, et le risque associé à celui-ci de voir des gens se retrouver à la rue, sont incompatibles avec cette situation sanitaire.

L'état d'urgence sanitaire a depuis été prorogé jusqu’au 10 juillet 2020 inclus.

Afin de tenir compte de cette nouvelle prolongation, un amendement a été voté le 8 mai 2020 afin de maintenir concomitamment la trêve hivernale jusqu'au 10 juillet inclus.

Qu’est-ce que la trêve hivernale ?

La trêve hivernale est la période pendant laquelle l'Etat n'accorde pas son concours pour poursuivre les expulsions locatives.

En pratique, lorsque le locataire manque à ses obligations locatives (le plus souvent ne règle pas son loyer), le bailleur doit engager une procédure afin de poursuivre son expulsion. Il est question ici des locaux à usage d'habitation ou professionnel.

Une fois qu'il a obtenu sa décision d'expulsion du Tribunal, le bailleur peut poursuivre l'expulsion du locataire. (NB : Le bailleur doit avoir une décision judiciaire - un titre exécutoire - pour pouvoir poursuivre une telle mesure d’expulsion).

Le bailleur va d’abord devoir faire signifier par huissier cette décision au locataire pour la rendre exécutoire, puis il va lui faire délivrer, toujours par huissier, un commandement de quitter les lieux.

Le locataire a deux mois pour quitter les lieux spontanément à compter de ce commandement.

A défaut de libération des lieux dans le délai, l'expulsion se poursuit.

Pour « faire sortir de force le locataire », l’huissier doit obtenir le concours de la force publique. Il devra en effet être assisté de la force publique et d’un serrurier pour forcer l’entrée.

L’huissier sollicite auprès de la Préfecture le concours de la force publique, laquelle a en principe deux mois pour répondre à cette demande (délai généralement plus long en pratique…). A savoir que l’absence de réponse peut faire naître un/des contentieux contre l’Etat mais ce n’est pas le sujet ici.

C’est là que la période de trêve hivernale a été instaurée dont il résulte qu'aucun concours ne peut être donné pendant une période définie.

La trêve hivernale est fixée chaque année du 1er novembre au 31 mars. (art. L412-6 du code des procédures civiles d'exécution)

Des dispositions spécifiques sont prévues dans le même sens pour les départements, régions et collectivités territoriales d'outre-mer, pour lesquelles la période est fixée par le représentant de l'Etat après avis du conseil général ou territorial ou de l'assemblée territoriale, pour une durée de 3 mois et demi ou 4 mois et demi, afin de tenir compte des particularités climatiques propres à celles-ci. (L. 611-1, L. 621-4, L. 631-6 et L. 641-8 du code des procédures civiles d'exécution)

En somme, aucune expulsion ne peut être poursuivie durant cette période puisque sans le concours de la force publique, l'huissier ne peut pas poursuivre ses diligences.

Cela s'explique par le fait que, bien souvent les locataires se retrouvent sans solution de relogement à l'issue d'une telle procédure (pas de logement social, locataires "fichés mauvais payeurs", pas de garantie pour le parc locatif privé). Il a donc été décidé qu’il n'était pas possible de laisser les locataires expulsés à la rue en plein hiver.

Attention, la suspension de l'expulsion par l'application de cette trêve hivernale ne s'applique pas:

  • aux occupants entrés illégalement dans les lieux, c'est à dire aux squatters qu'il s'agisse de l'occupation d'un logement ou de tout autre local (garage, résidence secondaire...)
  • lorsque le relogement des intéressés est assuré dans des conditions suffisantes respectant l'unité et les besoins de la famille (s’il y a une telle solution de relogement, le locataire n’a aucune raison de se maintenir ainsi dans les lieux).

Elle ne s'applique pas non plus aux occupants d'un logement faisant l'objet d'un arrêté de péril.

 

Pour 2020, cette période de trêve hivernale n'a pas cessé le 31 mars. Elle devrait, comme vu ci-avant, en l'état des derniers textes votés, s'achever le 10 juillet 2020. C'est donc à compter du 11 juillet que les expulsions locatives pourront reprendre et ce jusqu'au 31 octobre 2020.

Il faut savoir que cette trêve hivernale s'applique aussi aux fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz et d'eau qui ne peuvent couper leurs services durant cette période (art. L115-3 du code de l'action sociale et des familles). La prolongation de la trêve jusqu'au 10 juillet 2020 concerne également à ces dispositions.

La préfecture va être extrêmement sollicitée à l'issue de cette période de trêve hivernale par les huissiers chargés de ces mesures et par les avocats des bailleurs qui vont devoir faire en sorte d’accélérer les choses autant que possible pour que les expulsions interviennent avant le 31 octobre.

Les associations de défense des locataires et de lutte contre l'expulsion ont demandé que cette trêve se prolonge pour toute l’année 2020.

Il est vrai que les locataires faisant l'objet de décisions d'expulsion rendues en début d'année par exemple, n'ont pu prendre aucune disposition pour se reloger, pour partir pendant la période de confinement. La Préfecture qui est informée des expulsions en cours n'a pas pu prendre le contact de ceux-ci pour envisager des solutions de relogement. Tout ayant été au statu quo pendant le confinement, relancer les expulsions sans délai entraînerait une augmentation considérable des personnes se retrouvant à la rue. Et cela n'est pas compatible avec la crise sanitaire actuelle qui demeure au-delà du confinement.

Compte tenu des délais habituels pour obtenir le concours de la force publique et de l'engorgement à prévoir, il y a lieu de penser qu'il n'y aura certainement pas beaucoup d'expulsions entre juillet et octobre (si la trêve n’est pas à nouveau prolongée bien sûr)...au grand damne des bailleurs qui sont parfois dans l'attente de ce concours depuis des mois depuis le prononcé de la décision d'expulsion et qui attendaient la fin de la trêve hivernale pour poursuivre celles-ci. Vont-ils repartir pour une année et une nouvelle trêve hivernale sans pouvoir récupérer leur bien ? C'est bien possible. Cela va donc entraîner des conséquences financières indéniables pour les bailleurs-particuliers, retraités par exemple, qui ont parfois ces revenus locatifs comme essentielles ressources.

Un enchaînement de difficultés à venir de part et d'autre est donc encore plus à craindre que d'habitude. Des arrangements amiables sont toujours les bienvenus dès lors que chacun y trouve son compte. Peut-être seront-ils à envisager de plus fort en cette période exceptionnelle.

En attendant, la trêve hivernale n'empêche pas les bailleurs confrontés à des locataires indélicats (mauvais payeurs ou autres) de lancer leur procédure. La procédure d'expulsion peut, elle, être poursuivie pendant la trêve hivernale, seule l'exécution de cette décision est suspendue pendant cette période.

Compte tenu des délais procéduraux à envisager aussi, il sera peut-être conseillé d'engager la procédure dès maintenant pour pouvoir envisager une expulsion en 2021.

Article rédigé par Maître Elodie DUMONT