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La réception de l’ouvrage

Le 30 mai 2016
Les différents modes de réception de l'ouvrage à travers la jurisprudence

La Cour de cassation a récemment statué sur la notion de réception de l’ouvrage. (Cass. 3ème civ 19 mai 2016, n°15-17129, publié au bulletin.)

 

L’occasion pour moi de faire un petit rappel de cette notion, agrémenté de quelques décisions plus ou moins récentes sur la question.

 

Il résulte de cet arrêt du 19 mai 2016 : que le fait «qu'une entreprise succède à une autre ne suffit pas à caractériser l'existence d'une réception tacite par les maîtres de l’ouvrage et, que faute de prouver que l’ouvrage était en état d’être habité – en fonction de son état d’achèvement -, les maîtres de l’ouvrage ne peuvent pas non plus se prévaloir d’une réception judiciaire ».

 

En cette espèce, les maîtres de l’ouvrage avaient tenté d’obtenir le prononcé d’une réception judiciaire et consécutivement la condamnation de la société à les indemniser de leurs préjudices. La Cour d’appel a rejeté leurs demandes en retenant notamment que « la réception judiciaire est expressément envisagée par l'article 1792-6 du code civil ; qu'elle intervient à défaut de réception amiable ; que la réception étant un acte du maître de l'ouvrage, il suffit à celui-ci de prononcer amiablement la réception en déclarant accepter l'ouvrage ; que la réception judiciaire est ainsi le plus souvent destinée à la situation de l'entreprise confrontée à un maître d'ouvrage qui refuse d'accepter ses travaux ; qu'en l'absence de réception amiable, il est possible de saisir le juge pour lui demander la réception judiciaire des travaux ; que les maîtres de l’ouvrage ne justifiaient d'aucune mise en demeure de la société de procéder à une réception des ouvrages ; qu'il n’était justifié d'aucun état des lieux lors de l'abandon de chantier de la société; qu’aucun constat n'avait été établi sur l'étendue des travaux réalisés par la société lorsqu'elle avait quitté le chantier ; qu’on ignorait donc l'étendue exacte des travaux réalisés et leur état d'achèvement et ainsi qu'une réception judiciaire ne pouvait être prononcée en l'état des inachèvements de l'ouvrage

La Cour de cassation a rejeté le pourvoi des maîtres de l’ouvrage.

 

Cet arrêt vise les différents modes de réception de l’ouvrage, pour les écarter les uns après les autres. Lesquels sont-ils ?

 

 

La réception constitue le point de départ des garanties ou responsabilités prévues aux articles 1792 et 1792-2 du Code civil.

 

L’article 1792-6 du Code Civil dispose ainsi que : « La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement. »

 

Le principe est la réception amiable, la plupart du temps, expresse de l’ouvrage, laquelle se caractérise par la signature d’un procès-verbal de réception.

 

Pour pallier l’absence de réception amiable – parce que tout n’est pas toujours aussi simple - le législateur a prévu la possibilité d’une réception tacite ou judiciaire.

 

 

La réception tacite suppose l’existence d’une volonté non équivoque du maître de l’ouvrage de recevoir l’ouvrage.

 

Cette volonté se traduit généralement par la réunion de deux conditions : la prise de possession de l'ouvrage et le paiement de tout ou partie du prix.

 

En tel cas, le litige se tourne essentiellement vers la détermination de la date de la réception.

 

C’est l’un des évènements permettant de définir la réception tacite (prise de possession/ paiement du prix/ expression de la volonté…) qui sera retenu, en fonction de sa pertinence, pour fixer la date de cette réception tacite.

 

 

A noter/jurisprudence : La contestation des travaux ôte à la volonté des maîtres de l’ouvrage son caractère non équivoque !

*Arrêt du 24 mars 2016, Dans cette affaire, M. et Mme X avaient confié des travaux d'assainissement à une société, travaux qu’ils ont jugés défaillants. Ils ont, après expertise, assigné la société et son assureur en indemnisation de leur préjudice, se prévalant d’une réception tacite pour obtenir l’application de la garantie de l’assureur décennal de la société.

M. et Mme X prétendaient que dès lors qu’ils avaient pris possession de l’ouvrage malgré des désordres apparents et réglé l’intégralité du prix des travaux, cela valait réception tacite.

La Cour de cassation a rejeté leur pourvoi et décidé « qu'ayant relevé que M. et Mme X. avaient toujours protesté à l'encontre de la qualité des travaux, la cour d'appel, qui a pu retenir que, malgré le paiement de la facture, leurs contestations excluaient toute réception tacite des travaux, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ». (Cass. 3ème civ. 24.03.2016, n°15-14830, publié au bulletin)

 

* Il ne peut être prévu par une clause du contrat de construction que la prise de possession vaudra de fait réception de l’ouvrage. En effet, la prise de possession doit être non-équivoque. Or comme cela vient d’être rappelé, la seule prise de possession de l’ouvrage ne suffit pas à dire que la volonté est réellement non équivoque.

Dans un arrêt du 6 mai 2015, la Cour de cassation a rejoint la position de la cour d’appel ayant décidé que doit être réputée non écrite la clause d'un contrat de construction de maison individuelle avec fourniture de plans selon laquelle « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l'ouvrage et le maître de l'œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l'exigibilité de l'intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible ».

Il a ainsi été rappelé que la réception suppose la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir l'ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir. Et, qu’une telle clause insérée dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties puisqu'elle impose au maître de l'ouvrage une définition extensive de la réception, contraire à la loi, ayant pour effet annoncé de rendre immédiatement exigibles les sommes restant dues. (Cass. 3ème civ, 6 mai 2015, n°13-24947, publié au bulletin)

 

 

La réception judiciaire est, quant à elle, prononcée par le juge en cas de refus de l’une ou de l’autre des parties au contrat de construction, souvent en cas de refus du maître de l’ouvrage, de procéder à la réception de son ouvrage qui est en état d’être reçu.

 

Dans l’arrêt suscité du 19 mai 2016, la Cour a ainsi rappelé que la réception étant un acte du maître de l'ouvrage, il suffit à celui-ci de prononcer amiablement la réception en déclarant accepter l'ouvrage ; que la réception judiciaire est ainsi le plus souvent destinée à la situation de l'entreprise confrontée à un maître d'ouvrage qui refuse d'accepter ses travaux. Ainsi, a-t-il été rappelé que, pour retenir une réception judiciaire de l’ouvrage, encore fallait-il que l’immeuble soit en état d’être réceptionné.

 

Dans cette hypothèse, il n’est, en effet, plus question de s’assurer d’une volonté de recevoir l’ouvrage.

 

Le critère retenu pour déterminer la date de la réception judiciaire est celui de l’habitabilité de l’ouvrage.(Cass. 3ème civ., 27 janvier 2009, n°07-17563)

 

La réception est ainsi fixée à la date de prise de possession de l’ouvrage avec ou sans réserve, le critère d’habitabilité n’étant pas remis en cause par l’existence de réserves si la nature de ces dernières n’est pas susceptible d’empêcher l’habitabilité de la construction/ l’usage des lieux. (Cass. 3ème civ., 4 avril 2001, n°99-17142 ; Cass. 3ème civ., 30 octobre 1991, n°90-12659)

 

A noter enfin que dans le cadre du contrat spécifique de construction de maison individuelle, le maître de l’ouvrage non assisté par un professionnel bénéficie d’un délai de 8 jours à compter de la remise des clés pour soulever des réserves. (L231-8 du CCH)

 

Le critère d’habitabilité n’est pas spécifiquement prévue par ce texte. Retenir cette notion pour déterminer la date de la réception de l’ouvrage aurait pour conséquence de priver le maître de l’ouvrage de l’exercice de son droit. C’est donc la date de remise des clés qui est retenue comme date de réception de l’ouvrage. (Cass. 3ème civ. 27 février 2013, n° 12-14090, Bulln°30)

 

 Article rédigé par Maître Elodie DUMONT